Tribune : « Les élus ne cherchent pas à s’enrichir systématiquement » (Le Monde)
Retrouvez la tribune que j’ai co-signée avec les membres de l’Observatoire de l’éthique publique, dont je suis la vice-présidente. Collectivement, nous oeuvrons depuis près d’un an à faire avancer la réflexion en matière de transparence. Notre premier colloque portait ainsi à l’automne 2018 sur la déontologie parlementaire.
Cette tribune est également consultable sur le site du Monde :
Politique : « Les élus ne cherchent pas à s’enrichir systématiquement »
Les représentants politiques sont-ils trop payés ? Dans le cadre de nos recherches universitaires, nous travaillons sur la question des rémunérations et des avantages matériels des élus depuis plusieurs années. Nous devons reconnaître qu’il est impossible de répondre instantanément et objectivement à cette question.
A l’heure où les fausses informations sur les rémunérations des représentants font florès sur les réseaux sociaux, il nous paraît cependant nécessaire de rétablir certains faits avec précision.
Faux : les élus ne sont pas payés avec de l’argent liquide. Jusqu’en 2001, les ministres et leurs collaborateurs de cabinet ont été rémunérés en partie avec des enveloppes de billets échappant à l’impôt. Or Lionel JOSPIN a mis un terme définitif à ce système de fonds secrets par un décret du 5 décembre 2001, tandis que le Parlement a légalisé la rémunération des ministres par une loi du 6 août 2002.
Faux : les élus ne touchent pas non plus de salaires à vie. Lorsqu’il quitte le gouvernement, un ministre ne peut pas prétendre au chômage mais uniquement à une indemnité de fin de fonction d’une durée de trois mois (article 5 de l’ordonnance du 17 novembre 1958). Comme tout salarié, un député qui perd son siège bénéficie quant à lui d’une allocation-chômage de vingt-quatre à trente-six mois selon son âge, laquelle correspond à 57 % de son traitement. Seuls les anciens présidents perçoivent, depuis 1955, une dotation à vie de l’ordre de 6 000 euros par mois après leur départ de l’Elysée qui mériterait d’être réformée. De même, disposent-ils de bureaux et de collaborateurs en leur qualité d’ancien chef de l’Etat mais en toute transparence, grâce au décret du 4 octobre 2016. Ajoutons que, contrairement aux rumeurs persistantes, la première dame ne touche absolument aucune rémunération.
Les élus n’échappent pas à l’impôt
Faux : les élus ne peuvent pas cumuler des indemnités de manière illimitée. Une loi organique du 25 février 1992 plafonne l’indemnité des parlementaires titulaires d’autres mandats électoraux à 1,5 fois leur indemnité de base, c’est-à-dire à environ 8 500 euros, soit l’équivalent de 6,5 smic. Il en va de même de la rémunération des ministres, qui est plafonnée à environ 14 000 euros en cas de cumul des mandats, soit l’équivalent d’un peu plus de 8 smic. A titre de comparaison, la rémunération moyenne des PDG du CAC 40 avoisine les 300 smic.
Faux : les élus n’échappent pas à l’impôt. Depuis 1993, les indemnités des élus locaux et des parlementaires sont soumises à l’impôt. Si la rémunération des ministres échappait pour partie à l’impôt, puisqu’elle était versée en liquide, la légalisation de leur rémunération en 2001 a conduit à la fiscalisation de leur traitement. Depuis 2017, elle est devenue totale comme celle des parlementaires et du chef de l’Etat suite à l’adoption de deux amendements proposés par les députés Christine PIRÈS BEAUNE et René DOSIÈRE.
Faux : les élus ne cherchent pas à nous cacher la vérité sur leur train de vie ou à s’enrichir systématiquement. En 2008, Nicolas SARKOZY a accepté que le train de vie de l’Elysée soit contrôlé par la Cour des comptes, si bien que les magistrats de la rue Cambon publient désormais chaque année un rapport de la gestion de la présidence de la République. En 2012, le président Hollande a diminué de 30 % son traitement ainsi que celui des ministres. Depuis 2014, le budget détaillé de l’Assemblée nationale est consultable sur son site. Grâce à la loi du 15 septembre 2017, les frais de mandat des parlementaires sont soumis à justificatifs et à contrôle, ce qui n’avait jamais été le cas par le passé.
Faire la lumière sur les zones encore grises
Depuis le 1er janvier 2018, le régime spécial des retraites des députés a été aligné sur celui de la fonction publique. Concrètement, un député touchera désormais environ 700 euros de retraite par mandature réalisée contre 1 400 euros par le passé. Suite aux lois de moralisation de la vie publique de 2013 et 2017, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) veille au grain : tout enrichissement patrimonial illicite est détecté, révélé, sanctionné. Les dossiers de sept députés et huit sénateurs de la précédente législature (soit 1,6 % des parlementaires !) viennent d’ailleurs d’être transmis au parquet.
Il ne s’agit nullement de donner quitus, ici, au système français d’indemnisation des élus. De nombreuses zones d’opacité demeurent et le système est largement perfectible, en particulier au niveau des collectivités locales. Si l’immense majorité des 580 000 élus locaux exercent leur mandat à titre bénévole, il subsiste par exemple des zones grises concernant le train de vie des 2 000 élus qui gèrent les plus importantes collectivités.
Notre préoccupation est précisément de faire la lumière sur toutes ces zones grises et de donner à nos concitoyens toutes les clés pour un débat serein. Aussi, notre think tank, l’Observatoire de l’éthique publique, a-t-il décidé d’engager dans les prochains mois une réflexion de long terme sur l’indemnisation des élus. Nous sommes en train de préparer un rapport sur la juste rémunération des élus, qui soulèvera différentes questions sans tabou : quels sont les indemnités et les avantages matériels propres à chaque mandat ? Combien gagnent les élus des autres pays européens et les cadres du secteur privé pour un niveau équivalent de sujétions ? Sur quels critères faut-il s’appuyer pour fixer les rémunérations et les avantages matériels des élus ?
Dans le cadre du grand débat national, l’une des revendications principales consiste à réclamer moins d’élus et des élus moins payés. Satisfaire ces doléances ne ferait qu’aggraver la crise de la démocratie représentative. Cette crise trouve davantage ses racines dans la relative impuissance des gouvernants à l’heure de la mondialisation. Pourquoi rémunérer des élus qui ont perdu le pouvoir de changer le monde ou qui ont renoncé à le transformer ? Tel est peut-être le cœur du problème.
Signataires : Mathias Amilhat, université de Lille ; Emmanuel Aubin, université de Poitiers ; François Benchendikh, Sciences Po Lille ; Matthieu Caron, directeur général de l’Observatoire de l’éthique Publique ; Olivier Costa, Sciences Po Bordeaux ; Mathieu Disant, université de Saint-Etienne ; René Dosière, président de l’Observatoire de l’éthique publique ; Vincent Dussart, université de Toulouse ; Jean-Michel Eymeri-Douzans, Sciences Po Toulouse ; Arezki Ferdjoukh, chargé des relations institutionnelles de l’Observatoire de l’éthique publique ; Fabien Foucaud, université de Toulouse ; Elsa Forey, université de Bourgogne ; Aurore Granero, université de Bourgogne ; Béatrice Guillemont, université de Toulouse ; Nicolas Kaciaf, Sciences Po Lille ; Jean-François Kerleo, directeur scientifique de l’Observatoire de l’éthique publique ; Remi Lefebvre, université de Lille ; Elina Lemaire, université de Bourgogne ; Jean-Marie Massonnat, trésorier de l’Observatoire de l’éthique publique ; Eric Phelippeau, université de Nanterre ; Romain Rambaud, université de Grenoble ; Laurianne Rossi, vice-présidente de l’Observatoire de l’éthique publique ; Johanne Saison, université de Lille ; Antoine Som, secrétaire général de l’Observatoire de l’éthique publique ; Lucie Sponchiado, université Paris Est-Créteil ; Pauline Türk, université Nice Sophia Antipolis ; Elise Untermaier-Kerleo, université Lyon-III ; Antoine Vauchez, université Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Sofia Wickberg, Sciences Po Paris.
Crédits photographiques : Paris Match/Ilan DEUTSCH