Conditionnalités des aides publiques aux entreprises : je rends mon rapport
Il y a quelques mois, alors que les parlementaires votaient les mesures d’urgence et le plan de relance face à la crise sanitaire, je faisais partie des députés qui en appelaient à des conditionnalités claires et exigeantes vis-à-vis des entreprises bénéficiaires de ces aides publiques massives.
A l’issue de ce riche débat sur les contreparties demandées aux entreprises aidées, j’ai obtenu la création d’une Mission d’information parlementaire sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises. Installée officiellement en octobre 2020, j’en ai été désignée co-rapporteure, aux côtés de mes collègues députés Dominique Da Silva, Barbara Bessot-Ballot et Saïd Ahamada.
Après 5 mois de travaux et près d’une centaine d’auditions (entreprises, syndicats, universitaires, associations, pouvoirs publics…) nous avons présenté notre rapport aux membres de la Mission d’information puis aux Commissions des finances, des affaires économiques, des affaires sociales et du développement durable et de l’aménagement du territoire. Notre rapport a été adopté à l’unanimité le 31 mars.
Notre objectif : savoir si et comment les aides publiques versées aux entreprises peuvent ou doivent être assorties de contreparties c’est-à-dire être soumises à certaines conditions préalables et/ou à la réalisation d’objectifs déterminés.
Par exemple :
- Faut-il donner une aide à une entreprise qui ne respecterait pas l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ?
- Faut-il imposer l’adoption et le respect d’une stratégie de réduction des gaz à effet de serre à une entreprise avant de lui verser une aide ?
Au total, nous formulons près de 30 propositions pour mieux conditionner, mieux suivre et mieux évaluer les aides publiques aux entreprises.
- Des conditionnalités appliquées à des aides publiques aux entreprises peuvent-elles constituer un levier de transformation écologique, économique et sociétale, pour accroître l’efficacité des politiques conduites par l’État, ses opérateurs ou les collectivités territoriales ? Peuvent-elles contribuer à relever les grands défis de notre temps, notamment la phase de transition écologique que notre pays doit conduire ?
- Comment mieux assujettir la distribution d’argent public à des impératifs sociaux (le maintien et la création de l’emploi notamment), sociétaux (égalité des sexes, gouvernance de l’entreprise, partage de la valeur) et environnementaux (respect de la trajectoire carbone) ?
- Comment mieux mesurer l’efficacité sociale, économique et écologique de l’argent public distribué aux entreprises ?
- Quelles conditions peut-on poser en amont du versement de ces aides ? Comment en vérifier et contrôler le respect ?
Mieux suivre les aides publiques et mieux définir leur objectif politique
L’un des premiers constats que nous dressons dans ce rapport : la difficulté à suivre et tracer les nombreuses aides publiques allouées aux entreprises, qu’elles soient versées par l’Etat, les collectivités locales ou leurs opérateurs publics. Au total, nous recensons 1800 à 2000 aides (hors aides et niches fiscales), pour un total évalué à 140 milliards d’euros en 2018.
Les conditionnalités doivent répondre à des objectifs clairement énoncés et formulés par les pouvoirs publics. L’État et les collectivités ne doivent envisager d’octroyer une aide qu’avec un objectif politique précis. Toute aide doit correspondre à un objectif politique clair, rendu public, idéalement dans une étude d’impact, au moins pour les dispositifs d’aide les plus importants.
La traçabilité des aides doit être renforcée : la logique d’ouverture et de transparence des données concernant les aides publiques aux entreprises doit être poursuivie.
Assurer un meilleur contrôle des dépenses publiques
Afin d’assurer un contrôle précis et efficace de la dépense publique, toute aide publique, assortie ou non de conditionnalité(s), doit faire l’objet d’un minimum de règles :
- Toute conditionnalité exige de disposer d’indicateurs pertinents et partagés ou à déterminer avec la branche ou l’entreprise récipiendaire de l’aide ;
- Toute aide doit s’accompagner de modalités de suivi et de contrôle permettant de vérifier si l’entreprise respecte les conditionnalités ; des clauses de vérification périodiques doivent être définies entre le bailleur de l’aide et l’entreprise récipiendaire ;
- Les raisons qui motiveraient le remboursement partiel ou total de l’aide doivent être déterminées avant son versement, ainsi que les modalités de ce remboursement.
- Tout dispositif d’aide publique doit faire l’objet périodiquement d’une évaluation rendue publique.
- Nous proposons la création au sein du Parlement d’un Office parlementaire commun d’évaluation des aides publiques nationales aux entreprises. Cet Office serait chargé de l’évaluation et du suivi des aides publiques et de leurs conditionnalités, parmi lesquelles les conditionnalités environnementales. Cet Office parlementaire aurait la faculté de saisir la Cour des comptes.
Les conditionnalités
La première des conditionnalités est le respect des lois existantes : une entreprise qui perçoit des aides doit être à jour de ses obligations fiscales, sociales et environnementales. Tout versement d’une aide publique doit être précédé de la vérification que l’entreprise respecte ses obligations sociales (égalité professionnelle notamment), fiscales et environnementales.
Dans la logique d’une approche territoriale et contractuelle des conditionnalités, nous proposons que les aides à l’installation ou à l’extension d’entreprises soient accompagnées de contrats portant notamment sur le maintien de l’emploi pendant une période déterminée. À défaut du respect de cette condition, la collectivité publique disposerait ainsi d’une base juridique pour demander le remboursement de l’aide.
Nous plaidons pour une approche par seuil en privilégiant la conditionnalité des aides aux ETI et aux grandes entreprises et la conditionnalité dans le cadre de la commande publique pour les entreprises plus petites.
L’interruption du versement de dividendes apparaît logique afin de préserver la trésorerie d’une entreprise lorsqu’elle bénéficie d’aide pour assurer sa survie. La durée de cette interruption pourrait être négociée entre l’État et l’entreprise.
La récupération des aides
En ce qui concerne l’emploi, peu de possibilités existent aujourd’hui pour permettre aux pouvoirs publics d’obtenir le remboursement d’aides versées à une entreprise qui fermerait un site ou supprimerait des emplois (Bridgestone est un exemple récent).
Nous préconisons aux pouvoirs publics de systématiser la signature d’un contrat lors du versement d’une aide à l’installation ou à l’extension sur un territoire, afin de formaliser les conditionnalités et les clauses de remboursement en cas de non-respect par l’entreprise. Et, face aux restructurations intempestives de certaines multinationales, le remboursement pourrait être mis à la charge de la société mère en cas de faillite d’une filiale.
Nous proposons également de modifier la loi Florange de 2014, en abaissant aux entreprises de plus de 500 salariés (contre 1000 actuellement) le seuil à partir duquel l’État peut récupérer des aides. Et elle préconise que les collectivités entérinent les engagements précis des entreprises via des conventions signées en amont du versement d’une aide.
Enfin, ces aides, dont l’objectif est de maintenir l’existence d’une entreprise, pourraient être conditionnées à l’interdiction temporaire de toute hausse de la rémunération des dirigeants de cette entreprise, part fixe comme part variable. La même interdiction pourrait concerner la distribution d’actions gratuites à ses mandataires sociaux.
L’éco-conditionnalité doit devenir un réflexe !
L’éco-conditionnalité doit devenir un réflexe : une aide publique ne doit pas conduire à ce que l’entreprise récipiendaire aggrave son bilan d’émission de gaz à effet de serre. Nous proposons de tenir compte de quelques préalables avant d’y recourir :
- L’écoconditionnalité doit s’appliquer à des actions mesurables : cela soulève l’insuffisance des indicateurs, des mécanismes de suivi, et de contrôle.
- L’entreprise doit être en conformité avec les lois qui lui sont applicables en matière d’environnement pour bénéficier d’une aide.
- Nous recommandons d’appliquer l’écoconditionnalité à partir du seuil qui définit les entreprises de taille intermédiaire, soit 250 salariés ;
- L’écoconditionnalité pourrait se concentrer prioritairement sur les secteurs les plus polluants et les entreprises soumises au marché du carbone. En matière de sites industriels français par exemple, 25 sites représentant à eux seuls 36 % des émissions.
Nous préconisons une nouvelle forme de dialogue social autour de la décarbonation de nos modes de production. Dans les entreprises de plus de 500 salariés, le versement d’une aide publique serait conditionné à l’ouverture d’un dialogue avec le comité social et économique (CSE) sur la stratégie bas-carbone et les impacts sur les milieux naturels. Nous suggérons également que les CSE soient consultés sur la détermination des conditionnalités extrinsèques associées à une aide publique. Dans les entreprises dotées d’un conseil d’administration, serait nommé un administrateur chargé du développement durable. Cela permettrait de définir des indicateurs sectoriels partagés et pertinents, permettant de mesurer les efforts accomplis.
A l’échelle des branches professionnelles et des entreprises, vos rapporteurs considèrent que, si la comptabilité environnementale a fait des progrès notables, le contrôle et la certification des bilans carbone par des organismes tiers certificateurs demeurent encore très lacunaires, pour ne pas dire inexistants.
Nous proposons que l’État introduise des conditions lors de l’attribution de ses garanties à l’export, ou en échange d’une entrée au capital d’une entreprise.
Nous préconisons la création au sein de la Cour des comptes d’une nouvelle chambre : la chambre environnementale des comptes environnementaux qui, par sa spécialisation, évaluerait la qualité de la dépense publique afférente à l’environnement.
- Lire le rapport en intégralité : cliquer ici